«Il me massait la tête et mettait ses doigts dans ma bouche, plus précisément sur mon palais. Des trucs du genre.»
Grossièrement, c’est de cette façon qu’un thérapeute a sauvé la carrière de Rem Pitlick qui, adolescent, songeait sérieusement à accrocher ses patins. Oui, c’est très bizarre.
Alors qu’il avait 16 ans, Pitlick était vraiment sur le point de tout lâcher. Ses muscles fléchisseurs des hanches (hip flexors), l’un des groupes musculaires les plus importants du bas du corps, avaient cessé de coopérer. Ils étaient raides comme une barre.
«Ma mère a toujours été une amoureuse de la nature avec une mentalité sortant des sentiers battus alors, ensemble, nous avons consulté toutes sortes de chiropraticiens, de naturopathes et j’en passe, raconte Pitlick dans le vestiaire des Canadiens de Montréal au Centre Bell, la veille d’un match contre le Lightning, le 17 décembre dernier. J’avais ces problèmes aux hanches et je ne pouvais pas patiner. Mon meilleur ami, Casey Dornbach, qui a gradué à Harvard, ne cessait de me dire : “Tu dois voir cet homme, tu dois le voir.”»
Cet homme, c’était Neil Sheehy, qui est aujourd’hui son agent. Sheehy est un thérapeute neuromusculaire qui pratique au Minnesota. Ses méthodes étaient très étranges, mais Pitlick était désespéré.
«Je pensais vraiment que j’allais abandonner le hockey au secondaire. C’est vous dire à quel point c’était grave. Avant ma troisième année (junior year), je pense que j’ai pu m’entraîner seulement trois fois au cours de l’été, car je ne pouvais rien faire. Je ne pouvais pas patiner. Je ne pouvais pas effectuer de mouvements qui me demandaient d’être explosif.»
Alors il a laissé Sheehy lui jouer dans la bouche et… ça a fonctionné. On part du principe que la tête et le cerveau sont le moteur de tout le corps humain. Alors toucher certaines régions de la tête et appliquer une pression à des endroits précis du palais peut, apparemment, influer sur d’autres parties du corps.
Cette expérience a changé la perception des choses de Pitlick; sa façon de concevoir le monde, l’environnement, le corps humain.
«J’ai été exposé à la bizarrerie. J’étais une de ces personnes qui se disaient : “Ça n’a pas d’allure, je veux dire, tu mets tes doigts dans ma bouche, hors de ma vue!” Et puis ça a fonctionné. C’est un peu comme ça que ma curiosité intellectuelle est née. Parce que ça a fonctionné.»
Le hockeyeur qui câline des arbres
Un gazouillis est devenu viral dans la foulée de la collecte de sang annuelle des Canadiens ayant traditionnellement lieu au mois de novembre, au Centre Bell. Dans celui-ci : une vidéo de Pitlick discutant à bâtons rompus avec une partisane et dissertant passionnément sur le recyclage et le compostage.
Pitlick ressemblait davantage à un étudiant du Cégep du Vieux Montréal qu’à un joueur de hockey professionnel. Et c’est ce qui le rend aussi fascinant. Sa sensibilité à la cause environnementale et son intérêt pour des sujets profonds et très nichés font de lui un personnage unique dans les cercles du hockey.
«Ça vient des femmes dans mon entourage, explique Pitlick. Ma mère “câline des arbres” (tree hugger) et ma copine a toujours eu à cœur la cause environnementale. Ma partenaire m’éduque beaucoup à ce sujet, c’est devenu pour nous une passion commune, que j’ai pu partager à la partisane que j’ai croisée.»
De concert avec sa petite amie, Pitlick pose quotidiennement une série de petits gestes pour prendre soin de la planète et la laisser dans un meilleur état, à commencer par l’utilisation du gadget LOMI, un composteur portable intelligent d’une valeur de près de 700$.
«On tente de réduire notre consommation de plastique. On priorise les bouteilles d’eau en acier inoxydable. Pour notre literie, on préfère les fibres naturelles textiles, des trucs du genre. On est loin d’être parfaits, évidemment.»
Dans le vestiaire, Pitlick tente de rester loin de ces sujets avec ses coéquipiers.
«J’en parle surtout avec ma copine, avoue-t-il. C’est le genre de choses qui n’est pas vraiment présent dans la culture du hockey pour l’instant. Les gars trouveraient peut-être ça un peu bizarre et je comprends. J’essaye de trouver un équilibre, je ne veux pas être le personnage étrange à l’écart ou quoi que ce soit du genre.»
Tout est dans tout
Mais le hockey et l’environnement, au fond, sont-ils aussi dissociables qu’on pourrait le penser? Les influences de Pitlick l’ont amené à adopter un point de vue plus holistique des choses. Il est notamment inspiré par les enseignements de Paul Chek, un kinésiologue renommé.
«Mike Modano m’a parlé de lui au Minnesota, souligne d’abord l’attaquant. Modano avait déjà travaillé avec Paul. Paul a travaillé avec beaucoup d’athlètes de pointe. Il a été un consultant avec les Bulls.
«Il regarde les choses de façon holistique : tes mouvements, ta diète, ton sommeil, etc. Et il fait un lien avec l’environnement. Je lui accorde de la crédibilité à cause de son expérience dans le monde des athlètes, il n’est pas trop flyé.»
Mais qu’est-ce qui peut bien relier la préservation de la planète et la vitesse des enjambées de Rem Pitlick face aux Maple Leafs de Toronto un soir donné? Beaucoup d’éléments. Vous seriez surpris.
«Paul appelle ça le circuit organique fermé. Si le sol n’est pas en santé, les plantes sont en piteux état aussi. Les animaux mangent les plantes et nous, les humains, mangeons les animaux et les plantes. En théorie, nous sommes aussi en santé que notre environnement le permet. Et Paul intègre cela à la performance athlétique.»
Le régime de Pitlick n’a rien de trop révolutionnaire, cependant.
«J’essaie simplement de manger de la nourriture de haute qualité quand je suis en mesure de le faire. De la nourriture organique et locale. Des aliments qui ne sont pas transformés.»
La foi de St-Louis
Très loquace sur une foule de sujets dignes d’intriguer des bacheliers de l’UQAM, Pitlick perd ses mots lorsqu’il tente de comprendre les ennuis qu’il traverse cette saison.
Au moment de s’entretenir avec l’auteur de ces lignes, Pitlick n’avait pas été rétrogradé au Rocket de Laval, dans la Ligue américaine, pour une deuxième fois cette saison.
«Je ne sais pas vraiment [ce qui s’est passé].»
Il dit ne pas avoir abandonné et s’accroche à une lueur d’espoir : celle d’en ressortir un joueur encore meilleur que celui que l’on a vu à l’œuvre en 2021-2022.
«Je continue de croire en moi parce que j’ai vécu des situations difficiles au hockey par le passé, assure-t-il. J’ai appris au fil du temps qu’il y a souvent une leçon à tirer des moments durant lesquels tu rencontres le plus d’adversité. J’essaye de garder les choses simples. Je regarde des vidéos. Je tente de rester en santé.»
Même si cela ne se reflète pas dans son temps de jeu et dans les occasions qui lui sont offertes, Pitlick sent encore qu’il a l’entraîneur-chef Martin St-Louis de son côté. Ce dernier lui a tout récemment témoigné sa confiance lors d’une longue conversation.
«Il m’a dit : “Rem, c’est une situation différente cette saison. Les choses sont ce qu’elles sont. Garde la foi, moi je suis de ceux qui croient en toi (I’m a believer).” Tu dois simplement continuer de travailler.»
Quelques jours plus tard, Pitlick était rétrogradé à Laval alors qu’Anthony Richard était rappelé par les Canadiens. Le nouveau venu a déjà fait forte impression, signe que Pitlick n’a pas fini de composer avec de l’adversité pour cimenter sa place avec le Tricolore.
Avec du recul, il peut s’estimer heureux : il aurait bien pu cesser de patiner à 16 ans.